Les dauphins
solitaires de la Mer d’Iroise
LES DAUPHINS SOLITAIRES
Qu’est-ce
qu’un dauphin solitaire ? Bien que toute généralisation soit vouée à être
contredite par un cas particulier, on peut néanmoins avancer sur le sujet et
repérer quelques traits communs à cette classe de dauphins atypiques.
Nos
sources : Je m’appuierai principalement sur les interactions observées
avec les dauphins solitaires de la mer d’Iroise et rade de Brest à partir
des années 2000, ce qui exclut Jean Louis pour lequel je manque
de données:
Dony qui
s’est installé chez nous en 2003,
Jean Floc’h qui a défrayé la chronique
du côté de la Pointe du Raz à partir de 2003 puis en Espagne où il a "disparu" en 2008,
Lady
Bien que ce dauphin ne soit pas strictement un dauphin de la mer d'Iroise il est intéressant essentiellement pour deux raisons:
C'est un dauphin
commun et ce type de dauphin n'est pas connu pour approcher facilement l'homme.
Il
fait partie de ces dauphins "shooting star" qui apparaissent un jour
sans avoir été signalés ailleurs et disparaissent ensuite des écrans
radar! Il illustre la diversité sans limite des comportements des
dauphins solitaires. Lady est apparue fin mars 2005 dans la baie de
Lauberlac'h, est restée à tourner quelques jours autour de sa bouée
avant de disparaître ...
Clet aperçu parmi le
groupe de l’Ile de Sein en 2008 est passé par la mer d’Iroise en 2011
Clet au Veryac'h
et enfin Djack Bubble/Zafar installé
en rade de Brest de 2018 à 2019 et qui, lui aussi, eut les honneurs des média avant de terminer tristement sa carrière dans un chalut hollandais en mai 2020.
Triathlon de Brest 2018
Tertio / Paddy ???
De nombreux témoignages mentionnent l’existence d'un dauphin isolé nettement plus petit que Dony ou Zafar. Il a été observé soit seul, soit en compagnie de l'un des deux dauphins précédents, notamment en rade de Brest. Tertio ne se laisse pas approcher.
Il pourrait s'agir d'un dauphin commun.
Derniers témoignages (non recoupé) reçu: le 2 juillet 2019, port du Tinduff. le 11 novembre, cale de Lanveoc (avec images).
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L’étude
des dauphins de l’Ile de Sein permet aussi de voir ce qui rassemble comme ce
qui oppose les dauphins solitaires et les autres dauphins.
Les
organismes officiels se désintéressant de l’étude des dauphins solitaires, la
presse a pris le relai … en mettant en avant le côté sensationnel sans beaucoup
de rigueur scientifique.
Les dauphins solitaires évoluent en dehors de tout
groupe.
Pourquoi retrouve-t’on ces dauphins en dehors d’un groupe ? Ce qui
passe pour une énigme semble résulter d'une question mal posée et d’un biais d’observation.
Poser la question « Pourquoi un dauphin quitte-t-il son groupe ? »
sous-entend qu’un dauphin vit systématiquement en groupe. Mais ce n’est pas le
cas. Nombreux sont les dauphins, à l’instar des autres mammifères et notamment
des mâles, qui s’éloignent quelques heures, quelques jours, quelques semaines
ou plus radicalement encore de leur groupe. Mais un dauphin seul, ou un tout
petit groupe de dauphins est beaucoup plus difficile à repérer pour différentes
raisons :
Principalement (et
évidemment) en raison de leur nombre beaucoup plus faible.
Ensuite parce qu’il s’agit
principalement d’adultes (qui ne livrent pas aux excentricités ludiques des
plus jeunes) et que souvent ces francs-tireurs chassent discrètement dans des
eaux moins fréquentées par les observateurs (qui concluront que les dauphins
vivent en groupe).
(Voir en fin de document le complément sur les biais d'observations.)
Dire que les dauphins vivent en groupe c’est comme dire que les français
vont au bistro : Oui mais pas tous et pas tout le temps.
Dans le groupe de Sein, il existe une frange de population qu’on ne croise
que rarement au sein d’un groupe. Nous les appellerons dauphins
« atypiques ». Ceux-ci ne sont identifiés que dans moins de 50 % des
séances d’identification. Naturellement cette barre de 50 % est arbitraire et
artificielle. D’une année sur l’autre ces dauphins représentent entre 10 et 25
% des dauphins adultes. C’est donc un phénomène minoritaire certes mais non
négligeable.
L’hypothèse de l’exclusion ne tient pas la route. Ces dauphins retrouvent
facilement leur place dans le groupe ou peuvent en intégrer un autre.
Le dauphin Dony/Randy, après une longue période au
cours de laquelle il côtoyé Jean Floc’h, a rejoint le groupe de Sein avant de
le quitter à nouveau. A présent, lorsqu’il passe dans la Chaussée de Sein, il
ne se mêle plus à ses congénères. Il préférera chasser et se reposer de son
côté.
L’histoire du dauphin Clet présente des analogies. Il
fut en premier lieu aperçu brièvement au milieu des dauphins de l’ile de Sein,
puis il connut une courte carrière de dauphin solitaire avant de
disparaître des écrans en 2015 au Sud de l’Angleterre. Il a enfin réapparu en
2018 au sein d’un groupe d’une quarantaine de dauphins sur les côtes du pays de
Galles. (https://www.bbc.co.uk/news/av/uk-wales-44941233/lone-dolphin-clet-spotted-with-40-others-off-pembrokeshire)
En fait, les dauphins ne vivent pas systématiquement en groupe. Toute une
palette de comportements est observée : Si 50 % des effectifs du groupe de
Sein sont observés majoritairement au sein d’un groupe (ou d’un sous-groupe),
le reste de la population adopte un comportement beaucoup moins classique.
On remarque des dauphins qui s’éloignent momentanément du groupe pour
chasser (les francs-tireurs). Parmi ces francs-tireurs, certains, les voyageurs,
peuvent quitter(1) la Chaussée pour de longues semaines, voire des
mois. De même, des visiteurs peuvent rejoindre le groupe pour, dans certains cas, s'y intégrer.
Ces dauphins atypiques semblent bien constituer le vivier d’origine des
dauphins solitaires.
Une autre hypothèse régulièrement avancée propose que ces dauphins se
soient « évadés » d’un camp d’entraînement de l’armée ou mieux, de la
CIA, du Mossad ou du KGB.
(https://www.dauphinlibre.be/le-dauphin-deserteur-gaspar-un-007-de-400-kilos/)
(http://www.slate.fr/story/117031/armee-russe-dauphins)
L’analyse du comportement de ces dauphins au cours de leurs premières rencontres
avec les plongeurs ne conforte pas cette hypothèse : ils se montrent
beaucoup trop prudents et ne semblent pas avoir côtoyé des humains durant un
long apprentissage.
Reste que ces dauphins, ou certains d’entre eux au moins, manifestent un
intérêt inhabituel pour le sillage des bateaux, les dauphins préférant
généralement l’étrave.
Mentionnons aussi le fait que ces dauphins solitaires semblent se
rencontrer avec plaisir. Je pense essentiellement ici à Dony et Jean Floc'h et
beaucoup plus récemment à Dony et Zafar.
Les dauphins solitaires sont de grands
voyageurs.
Depuis qu’il est suivi, Dony/Randy
a été le plus voyageur de nos dauphins solitaires.
(https://www.dauphinlibre.be/les-etonnants-voyages-de-dony-le-dauphin-amical/)
Il aurait été observé pour
la première fois en Irlande en 2001. Puis ce sera l’Angleterre, la Belgique et
la Hollande. Il est maintenant établi en mer d’Iroise/Rade de Brest même s’il
s’offre des vacances chaque année, à la belle saison, en Bretagne Sud.
(Des témoignages concordants indiquent que Dony a été régulièrement accompagné en rade de Brest par un second dauphin nettement plus petit que lui. Et ce, depuis des années.)
Jean
Floc’h est apparu en mer d’Iroise en 2003. Finalement chassé à coup de pétards à thons du
Vorlen (pointe du Raz), il est allé trouver refuge dans la baie de Vigo (sous le
nom de Gaspar).
(https://www.lavozdegalicia.es/noticia/carballo/fisterra/2016/03/17/delfin-gaspar-deja-ver-aguas-zona-poco-desaparecer/0003_201603C17C10991.htm)
Mal lui en a pris. R.I.P.
Clet,
qui avait été observé dans le groupe de Sein en 2008, s’est établi un moment en
baie d’Audierne puis en mer d’Iroise avant de partir pour un périple qui
l’entraînera autour de l’Irlande. On perd sa trace au Sud de la Grande Bretagne
en 2015. Il pourrait avoir été observé au Pays de Galles au sein d’un groupe
d’une quarantaine d’individus tout récemment en 2018.
(https://www.bbc.co.uk/news/av/uk-wales-44941233/lone-dolphin-clet-spotted-with-40-others-off-pembrokeshire)
Quand
à Zafar, le dernier venu de la troupe, ses déplacements sont demeurés relativement modestes de 2017 à 2019, soudain, il quitte Douarnenez où il avait pris ses quartiers d'hiver, dans le sillage d'un voilier qu'il accompagnera, d'une traite, jusqu'à Amsterdam après avoir passé l'écluse d'Ijmuiden. Il terminera son existence quelques jours après, dans un chalut.
Les
dauphins solitaires partagent en l’accentuant le côté voyageur des
dauphins atypiques.
Les dauphins solitaires n’ont pas
d’appréhension envers les activités humaines.
Tous
les dauphins atypiques ne s’approchent pas, loin s’en faut, des hommes. Leurs
interactions avec ce mammifère terrestre est à l’image de l’extrême variabilité
de leurs comportements.
Parmi
les dauphins de l’Ile de Sein, un seul, Paloma a su se montrer assez hardi pour
approcher un plongeur en dehors de son groupe. Ce comportement ne s’est pas
poursuivi.
Les dauphins solitaires ont franchi le pas :
Certains recherchent la compagnie des plongeurs, d’autre la tolèrent. Avec le temps, ils présentent souvent un profil d’interaction de plus en plus actif, puis viendra un palier avant une diminution dans l’intensité et la
diversité de ces interactions. Celles-ci peuvent se terminer en une acceptation
passive du plongeur/nageur respectueux.
Reste qu’une interaction avec un dauphin joueur nécessite
une bonne forme physique et une aquaticité certaine.
De même, déchiffrer les attitudes menaçantes chez un dauphin solitaire diminue les risques d'accident.
Interactions
avec les embarcations.
Les
dauphins apprécient les jeux dans l’étrave des bateaux. Les dauphins solitaires
ne sont pas en reste. Une préférence cependant pour les vibrations générées par
les moteurs et les remous d’hélices font qu’on retrouve souvent ces dauphins
dans le sillage des bateaux.
Jean
Floc’h a provoqué de nombreux dégâts notamment dans différents centres nautiques.
(http://brestconnection.over-blog.com/article-6098994.html)
Clet
suivait régulièrement les kayaks et pouvait surfer les mêmes vagues que les surfeurs.
(https://www.youtube.com/watch?v=Mv3syPf3zH4&feature=youtu.be)
Zafar
accompagnait souvent ces embarcations avec lesquelles il pouvait même adopter un
comportement sexuel. Installé durablement dans un mouillage, il associait parfaitement chaque bateau avec sa prame de servitude et, au départ, précédait la plate pour aller l'attendre au mouillage du bateau. L'inverse se produisait au retour du bateau.
(https://www.facebook.com/locusport.fr/videos/292931588166656/)
Au fil du temps l'intérêt pour
l'interaction se développe et le déplacement en annexe devient extrêmement
compliqué voire impossible.
Interactions
à caractère sexuel.
Un
sujet sans limites. Et qui révèle encore une fois l’extrême diversité des
comportements rencontrés.
Dony
affichait une très grande préférence pour les plongeuses(2). La connotation sexuelle n’était cependant pas évidente. Les plongeurs étaient réduits au rôle de spectateur des interactions avec les plongeuses.
Dony
semblait supplier ses plongeuses préférées de rester dans l’eau avec lui en les
accompagnant jusqu’au point de sortie et tentant délicatement du rostre
d’attirer leur cheville pour les retenir.
Si
ce dauphin extériorisait son pénis en bonne compagnie, il n’allait pas jusqu’à
se frotter ouvertement. Un gentleman en quelque sorte. Mais à présent Dony s'est bien calmé.
Jean
Floc’h : Pas d’interaction à caractère sexuel !
Clet :
Un comportement de timide prenant conscience de sa toute puissance. Dans un
premier temps très doux avec les plongeurs, dès l’instant où il a découvert les
jeux sexuels qu’il pouvait imposer aux plongeurs comme aux plongeuses il
adoptait systématiquement un comportement de frotteur quitte à avoir recours à
des coups de rostre plus ou moins appuyés à l'encontre du plongeur récalcitrant. Le plongeur élu par le dauphin en
était souvent réduit à sortir de l’eau.
A
la décharge de Clet, il faut signaler qu’il restait une possibilité de refuser
ses avances, mais cela passait par une attitude ferme et souvent sanctionnée par
quelques coups de rostre.
Zafar,
le dauphin frotteur. Son début de parcours s’apparente à celui de Clet puis Zafar bascule brutalement vers un comportement hyper sexuel avec la quasi totalité des plongeurs-nageurs qu'il croise ... a tel point que le maire de Landevennec, courant août 2018, a jugé préférable d'interdire la baignade avec le dauphin.
Zafar à Pors Carn
Puis les choses se sont légèrement calmées,et le dauphin a reporté son trop-plein d'affection sur les objets tractés par certains plongeurs ou les embarcations légère : kayak,
prame ou même Optimist (ce qui devient problématique pour un centre nautique mais beaucoup plus satisfaisant pour un plongeur importuné).
Mais nous n'étions pas au bout de nos surprises. L'attraction envers ces embarcations légères s'est renforcée et (probablement) doublée par une volonté d'appropriation. Zafar, mécontent de ne pouvoir disposer à sa guise des annexes, s'oppose à leur circulation ce qui pose de gros problèmes aux plaisanciers désireux de regagner leurs bateaux ou la terre. Début juillet 2019, au Tinduff, un plaisancier se retrouve à l'eau suite à une poussée énergique du dauphin sur son annexe. L'incident se reproduira à Camaret en novembre 2019.
A partir du mois d'octobre 2019, il devient pratiquement impossible d'utiliser une annexe en présence du dauphin sans aide extérieure.Des signes de légère amélioration ont néanmoins été observés en janvier 2020.
Enfin, en septembre 2019, le dauphin a été observé en train de se "frotter" à un mulet encore comateux.
Pour ce faire, le dauphin bloque le poisson, soit sur le fond, soit contre la coque d'un bateau.
Interactions
à base de vibrations.
Les
vibrations sonores (ou ultrasonores) se propagent beaucoup mieux que les
signaux visuels dans nos eaux où la visibilité ne dépasse pas une dizaine de
mètres. C’est donc un signal fondamental que chaque plongeur peut utiliser pour
se signaler à un dauphin.
Dony :
Très visuel, Dony ne réagissait que peu aux vibrations sonores. Sauf peut-être
aux vibrations obtenues avec des chaînes de mouillage. Cependant P. Le Niliot (du PNMI) relate avoir testé un "pinger" avec ce dauphin ... qui a manifesté le plus grand intérêt pour ce dispositif.
Jean
Floc’h : Champion toutes catégorie de ce type d’interactions. Jean Floc’h restait
scotché devant une rape à fromage convenablement frottée. Il arrivait au signal
d’une cloche depuis des distances hallucinantes !
Jean Floc'h à Brezellec
Il pouvait présenter son
aileron à un plongeur (familier) pour l’entraîner vers la bouée de mouillage la
plus proche. La récompense étant alors d’en faire sonner harmonieusement la
chaine.
La
mise en place des mouillages avec les manipulations de chaînes que cela
comporte ont toujours fasciné Jean Floc’h . Cette activité n’était pas sans
danger pour le plongeur qui, son travail effectué, sortait de l’eau sans tenir
compte des injonctions à rester et poursuivre son œuvre (3).
S.
Hassani (d' Océanopolis) a expérimenté un dispositif censé éloigner les dauphins à base de
signaux acoustiques. Jean Floc’h est rapidement venu se délecter de cette source
sonore en y collant son oreille !
Clet :
Sans atteindre le niveau de Jean Floc’h, et comme beaucoup de dauphins, Clet
appréciait les bruit de chaînes de mouillage.
De même Zafar
arrivera rapidement si vous agitez une chaine de mouillage.
Interactions
à base d’effet visuel.
Dony :
Ça a longtemps été (du moins avec les plongeurs) une attraction phare. Le
dauphin restait fasciné par les spirales obtenues en faisant tourner devant ses
yeux de longues laminaires arrachées par la précédente tempête. Même chose pour
les hélices actionnées à la main sur un bateau au mouillage.
Jean
Floc’h était lui absolument "scotché" par ce genre de spectacle
« mécanique ». Si vous vous mettiez à l’eau à une vingtaine de mètres
d’une vedette, il vous rejoignait et vous présentait son aileron pour vous
entraîner jusqu’à son hélice qu'il s'agissait alors de faire tourner!(4)
Lorsque
Dony l’accompagnait dans ces séances de mécanique, Jean Floc’h occupait
systématiquement la place de choix entre le plongeur et Dony. Préséance oblige.
Ni Clet ni Zafar n'ont brillé dans ce domaine.
Interaction
avec les animaux.
Ces
interactions sont assez rares et celles avec des chiens sont
majoritairement documentées. Et les réactions sont, là aussi, extrêmement variées.
Dony :
Semblait apprécier ces rencontres, soit en jouant à cache-cache avec le chien,
soit en se dérobant à son contact en se laissant couler à un mètre sous la
surface de l’eau. En forme, le dauphin peut même exécuter d'impressionnantes charges d'intimidation (ludiques?). S’il reconnait le bateau du chien, il pourra venir le
chercher et lui montrer la bouée auprès de laquelle il souhaite jouer. Ces derniers temps (été 2020), le dauphin semble prendre ses distances avec les chiens.
Dony à Sein
Jean
Floc’h : De manière surprenante, ce phénomène de force et de témérité
avait une peur panique des chiens. Si un roquet tombait à l’eau, le dauphin
disparaissait du mouillage jusqu’à ce que celui-ci en ressorte !
Clet :
Pas de données.
Zafar :
Zafar n’apprécie pas trop la présence d’un chien. Il pourra l’attirer à l’autre
extrémité d’un mouillage avant de revenir discrètement sous l’eau interagir
avec son partenaire du moment. Si cette répugnance semble semble s’être atténuée avec le temps, Zafar s'éloigne ou se réfugie cependant sous un bateau à l'approche d'un chien.
Les
jeux.
C’est
au niveau des jeux que se mesure véritablement l’interaction avec le dauphin
solitaire. Il y a un monde entre un dauphin qui se laisse approcher et un
dauphin qui entre dans le jeu présenté par le plongeur.
En
général ces interactions dépendent de la relation individualisée que le
plongeur a su construire avec le dauphin.
Dony,
assez joueur dans les années 2000 s’est progressivement désintéressé des
plongeurs puis des plongeuses. Il continue à tolérer leur présence en
maintenant un très faible et surtout très sélectif niveau d’interaction. Tout en continuant d’apprécier les
caresses à partir d’un ponton.
Jean
Floc’h : Champion toutes catégories des jeux … ce qui ne lui a pas porté
chance.
Clet :
Modéré dans ses interactions, ce dauphin, avant de disparaître de nos côtes, privilégiait
les interactions à caractère sexuel.
Zafar :
Un profil semblable au précédent. Mais le comportement tout sexuel a laissé la place à un éventail de jeux beaucoup plus intéressants.
Par exemple, courant septembre 2019, Zafar propose au plongeur-nageur de jouer
à qui attrapera un mulet qu'il se charge lui même d’amener encore en vie.
Depuis la mi-juillet 2019, Zafar développe cependant un comportement d'appropriation d'un objet ou d'un plongeur. Il repoussera alors les autres plongeurs de l'objet
de sa convoitise.
Les
objets d'appropriations sont en général les sextoys utilisés par Zafar.
On citera en premier lieu les annexes. Zafar a déjà été observé tentant
d'en éloigner, du rostre ou par d'autres postures d'intimidation, un
plongeur/nageur. Même chose pour certaines bouées utilisées comme jouet par le
plongeur.
Les
plongeurs peuvent, eux aussi, faire l'objet d'une appropriation de la part du
dauphin qui tentera alors d'en éloigner les autres plongeurs, là aussi à
coup plus ou moins appuyés de rostre. Dans un premier temps ce type d' "appropriation de plongeur" à connotation sexuelle ne concerne que des plongeuse-nageuses. Cette
appropriation est renforcée lorsque la plongeuse ne porte pas de
combinaison sous-marine. La sortie d'eau devient alors très problématique.
Puis, la situation évoluant, le plongeur-nageur pourra être soumis au même régime.
Les offrandes.
Certains dauphins iront vous chercher du poisson. Citons rapidement Dony, Jean-Floc'h, Lady et Zafar lors de son confinement à Tréboul: une sole, un mulet et un bar. Pas mal non?
Octobre 2009, baie de Vigo: Jean Floc'h jette ce bar sur un ponton,dans les pieds d'un pécheur à la ligne.
Expérience
du miroir.
Le test du
miroir est une expérience maintenant classique de psychologie animale. Elle est
sensée appuyer ou infirmer la notion de conscience chez l’animal avec lequel
elle est pratiquée.
Sur les
dauphins en captivité, cette expérience a été introduite par Diana Reiss de l’Université
de New York. Je me suis attaché à reproduire cette expérience sur les dauphins
solitaires que j’ai pu étudier.
Jean Floc’h :
résultat surprenant. Le dauphin s’observe dans le miroir tout en vocalisant.
Dony, Clet
et Zafar ne portent aucune attention au miroir. Expérience très décevante, d’autant
plus qu’elle nécessite pas mal de préparations et de collaborations pour rester dans un cadre scientifique.
Ports
et mouillages.
La
quasi-totalité des rencontres avec les solitaires ont lieu dans les ports et
mouillages. L’attrait des dauphins pour les embarcations à moteur n’est sans
doute pas la seule cause de cette attirance.
La
vie en groupe ne semble pas un atout décisif pour se nourrir et les dauphins
solitaires n’éprouvent pas de difficulté à s’alimenter. Ceci fait, reste à
passer au repos.
La
phase de repos, au sein d’un groupe, réduit l’attention des dauphins mais le
regroupement permet de partager cet état de veille.
Les
dauphins, dans nos eaux, n’ont pas de prédateur et la veille pendant le sommeil
n’est pas un avantage déterminant. Néanmoins il semble que ces solitaires
retrouvent dans un mouillage, le long d'un bateau, un genre de substitut à la présence rassurante
du groupe.
Notons
que, parmi le groupe de Sein, rares sont les dauphins qui pénètrent dans le
port. Et, encore une fois Paloma fait partie de ces dauphins à mi-chemin entre
les dauphins du groupe de Sein et les solitaires.
Évolution du comportement des dauphins solitaires.
L’évolution
des interactions des dauphins solitaires avec l’homme est à l’image la grande diversité
de leurs comportements.
Néanmoins, chez plusieurs dauphins solitaire, les interactions ont évolué de manière comparable. Dans un premier temps le dauphin se laisse difficilement approcher, puis il finit par accepter, voire rechercher le contact. L'interaction devient alors beaucoup plus spécifique et adaptée à chaque intervenant. Enfin après un pic d'interactivité s'amorce souvent une phase de retrait au cours de laquelle le dauphin semble se désintéresser très progressivement des interactions avec les plongeurs-nageurs (et les embarcations légères le cas échéant). Cette évolution présente pour le dauphin une nette diminution des menaces que font peser sur lui ses détracteurs.
Les dauphins
"à problème" semblent aussi présenter certaines analogies
comportementales. Les accidents se produisent rarement lors des
premières rencontres avec les dauphins solitaires. Avec la répétition de ces rencontres
le dauphin finit par s’apercevoir que c’est lui le patron et qu’il n’y a pas
lieu de s’inquiéter de ces nouveaux amis plongeurs-nageur, surtout que la quasi-totalité
de ceux-ci est extrêmement tolérante (ce qui n'est probablement pas souhaitable et qui semble
accélérer l'arrivée des problèmes). Ce constat effectué, le dauphin a tendance
à adopter un comportement dominant et exigeant à la source de nombreux
problèmes.
Jean
Floc’h : Les premier témoignages décrivent un dauphin initialement sans
appréhension venant dès les premiers jours à la rencontre des plongeurs nageurs
avec des postures d’intimidation lorsque le plongeur descendait sous la
surface.
Les
interactions ont évolué rapidement jusqu’à une intensité hallucinante avec
certains plongeurs privilégiés. Les plongeurs occasionnels pouvaient être
accueillis avec beaucoup moins d’égards.
Puis
progressivement une certaine lassitude semble avoir pris le dessus.
Jean Floc'h a ainsi suivi ce scénario du retrait en réduisant considérablement ses interactions avec les plongeurs nageurs. Mais ses agissement avec les annexes ou les bateaux de pêche sont très probablement à l'origine de sa disparition dans le secteur de Vigo en Espagne.
Dony: La très longue histoire de ce dauphin et ses grands périples n'ont pas permis de déterminer avec précision le pic d'interaction. Notons qu'il interagissait beaucoup plus lors de ses premières apparitions en France avec déjà une préférence très nette pour les plongeuses-nageuse. La phase de retrait a été très progressive et maintenant les interactions semblent se limiter à se faire caresser le ventre à partir d'un ponton. Ses interactions avec les plongeurs restes très rares et ciblées.
Clet :
Ce dauphin pourrait être le stéréotype du « dauphin timide ».
Initialement craintif, il aura fallu des dizaines de plongées pour que le dauphin
vienne au contact. La phase de croissance des interactions a été très
progressive et limitée, sans commune mesure avec les prestations de Jean Floc’h.
Puis, progressivement le dauphin a pris suffisamment d’assurance pour imposer
son style (sexuel) à l’interaction. Peu de temps après avoir franchi ce cap, le
dauphin a disparu des côtes bretonnes sans que l'on ait pu mettre en évidence la phase de retrait.
Zafar :
Probablement un autre « timide », Les premières interactions ont été
empreintes d’une très grande douceur avant de prendre un tour plus sexuel puis
autoritaire. L'évolution de ce dauphin a été déroutante tant elle s'est montrée spécifiquement adaptée à chaque plongeur-nageur régulier. Elle est constituée d'avancée, de montées de dominance et de reculades. Il se pourrait qu'un certain retrait soit apparu début 2020 ... mais l'histoire n'a pas eu le temps de s'écrire.
Plonger
avec un dauphin solitaire ou s’abstenir ?
D’abord,
rappelons que cette activité nécessite une bonne condition physique ainsi
qu’une aisance dans l’eau à toute épreuve.
Le
second aspect de la question est celui de l’information. Une bonne information permettra
toujours d’avancer vers plus de sécurité.
Les rares accidents se sont généralement produits avec des personnes surprises par la présence
d’un dauphin, peu à l’aise dans l’eau ou mal informées sur son comportement. Mais les exceptions existent.
En
général les autorités préfèrent l’interdiction à l’information.
Ensuite,
rappelons le cadre légal en France:
Réglementation:
Il
est en général interdit de nager dans les ports.
De
plus la nage au milieu des embarcations présente des risques. L’utilisation
d’un pavillon de plongeur permet de se signaler et participe au respect des
autres usagers des lieux.
L’utilisation
de ce pavillon devrait éloigner les bateaux à plus de cent mètres … mais faut
pas rêver !
Protection
des dauphins :
« Pour les espèces de cétacés et de siréniens dont la liste est
fixée ci-après, sont interdits sur le territoire national, et dans les eaux
marines sous souveraineté et sous juridiction, et en tout temps :
I. - La destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement intentionnels
incluant les prélèvements biologiques, la perturbation intentionnelle incluant
la poursuite ou le harcèlement des
animaux dans le milieu naturel. »
Danger pour le plongeur:
Chaque
dauphin étant différent d’un autre, il est illusoire de penser trouver une
sécurité totale en appliquant des règles de base qui pourraient ne pas vous
protéger face à un comportement spécifique. Néanmoins on peut limiter les risques en
appliquant les consignes générales
suivantes :
1°) Gérer une possibilité de sortie rapide de l’eau.
2°) Ne pas approcher le dauphin mais le laisser venir
près de votre point de sortie.
3°) Sortir de l’eau à la première alerte :
Intimidation, Excitation, Individualisation, Obstruction ou tout changement dans le comportement.
4°) Ne pas laisser le contrôle de la plongée au dauphin.
1°) Gérer
une possibilité de sortie rapide de l’eau.
Rester dans peu d’eau ou à proximité d’un escalier ou d’une échelle
permet souvent de conserver cette possibilité.
2°) Ne pas
approcher le dauphin mais le laisser venir près d'un point de sortie.
Chez les
mammifères, une approche frontale sera souvent perçue comme agressive.
Un dauphin
peut avoir des partenaires de plongée privilégiés et ne pas souhaiter interagir
avec un nouveau venu. Il peut de même préférer rester à l’écart des plongeurs.
La sanction peut se traduire par un coup de rostre.
3°) Sortir
de l’eau à la première alerte : Intimidation, Excitation,
Individualisation ou Obstruction.
Intimidation : Les principales manœuvres
d’intimidation sont les coups de caudale ou de rostre sur la surface de l’eau,
les ouvertures-fermetures rapides de la mâchoire ainsi que les charges
d’intimidation plus délicates à gérer.
Excitation : le
dauphin (mâle) sort son pénis de sa fente génitale.
Individualisation : le
dauphin fait d’un plongeur-nageur un partenaire d’interaction privilégié. Il
peut alors exiger la poursuite de cette interaction, avec ou sans son
consentement. Ça peut alors très rapidement devenir ingérable.
Obstruction: le dauphin limite vos déplacements et pourra gêner votre progression vers
le point de sortie.
Notamment il
pourra tenter de vous retenir pour poursuivre l’interaction, voire vous
entraîner au large.
La sortie s’effectuera
en contournant l’animal si ce dernier y consent.
Changement du comportement: Se méfier des accélérations du dauphin et, par exemple, de ses vocalises par l'évent. Etc.
4°) Ne pas laisser le contrôle de la plongée au dauphin.
Il s'agit là d'un point très discutable, qu'on ne saurait généraliser, mais dont il faut avoir connaissance. Le dauphin est infiniment plus fort que vous et si vous le laisser diriger la plongée vous encouragerez une posture de domination qui peut dégénérer. Pour garder le contrôle de la plongée vous devrez réduire ou stopper l'interaction lorsque le dauphin tente d'imposer sa vision de l'interaction.
Exemples:
Évitez de suivre ou d'approcher le dauphin, mais laissez le venir à vous.
S'il vous tend son aileron, évitez de le saisir et vous entraîner là où il a choisi de vous mener (surtout si c'est vers le large). Les amoureux des dauphins ont souvent beaucoup de difficultés à intégrer cet aspect tant ils sont persuadés de l'angélisme de l'animal et de la relation unique et grisante qui les lie.
Et bien évidemment, n'encouragez pas, le cas échéant, le comportement "frotteur" du dauphin.
Danger pour le dauphins:
Les interactions hommes / dauphins finissent souvent par soulever l'hostilité de certains pêcheurs plaisanciers ou professionnels envers le dauphin (comme les nageurs-plongeurs). Ce phénomène a été particulièrement virulent en présence des dauphins Jean-Floc'h puis Zafar. On peut se demander si le fait pour un nageur-plongeur d'interagir avec un dauphin ne présente pas le risque d’exacerber les tensions et, par là, accentuer la menace qui pèse sur le dauphin.
Rappelons que Jean Floc'h faisait courir un réel danger aux pêcheurs de Brezellec ou du Vorlen puis de la baie de Vigo: En s'attaquant aux avirons, le dauphin pouvait laisser une annexe et son occupant sans possibilité de regagner la côte. De plus, le dauphin avait la fâcheuse habitude d’emmêler des bouts dans les hélices ce qui aurait pu être à l'origine d'accidents très graves. Il est très probable que ces mauvaises habitudes soient à l'origine de sa disparition.
De plus, le dauphin se délectait du spectacle du plongeur qui venait retirer les cordages des hélices. Ce type de comportement de la part des plongeurs a donc pu jouer un rôle dans sa disparition.
Le cas de Zafar est plus discutable: Il est difficile d'imaginer un rapport direct entre les nageurs-plongeurs et l'attrait manifesté par le dauphin pour les embarcations, de même qu'il est impossible de ne pas évoquer cette possibilité. Toujours est-il que le dauphin a été pris dans un chalut avant d'être sauvagement achevé.
La responsabilité des pêcheurs professionnels dans ces deux disparitions parait donc largement engagée, mais celle des nageurs-plongeurs ne peut pas non plus être totalement écartée.
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1 : Quitter la Chaussée. Il s’agit
là d’une interprétation liée au fait que des dauphins, assez facilement
identifiables, ne sont plus observés pendant un certain laps de temps important alors que
sa présence se manifeste par des identifications très régulières.
2 : Comprenez plongeuse ou nageuse
et le cas échéant, plongeur ou nageur.
3 : Quelques côtes cassées.
Information non recoupée.
4 : Attention, là aussi si vous ne
décryptiez pas assez rapidement ses sollicitations les choses pouvaient
s’envenimer. Un bras dans le plâtre en Espagne !
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Annexe : Les dauphins
isolés : Un biais d’observation.
On admet
souvent que les dauphins vivent en groupe et c’est ce que les observations,
nombreuses et concordantes, semble confirmer. Cependant une analyse plus fine
du problème devrait inciter à beaucoup plus de prudence : L’observation
des dauphins souffre de nombreux biais dont certains sont assez faciles à
mettre en évidence, d’autres beaucoup plus délicats.
Le biais du
chercheur de champignon.
Le chercheur
de champignon privilégie ses "coins" au cours de ses recherches. De même l’observateur de dauphins se
dirigera en priorité vers les zones où il a déjà observé des dauphins en
groupe. Ce type d’observation favorise donc le repérage des dauphins en groupe.
Le biais de
sociabilisation.
Les
activités de sociabilisation occupent une place non négligeable de l’emploi du
temps des dauphins … les plus sociables. Parmi ces activités nous citerons les
jeux, un type d’activité plus susceptible de faire repérer un groupe important qu’un
dauphin isolé ou un groupe ne comportant que deux ou trois individus.
Le biais de
jeunesse.
Bien que
cela ne soit pas toujours le cas, les groupes de dauphins encadrent la majorité
des jeunes. Et ces jeunes sont en général plus curieux, plus joueurs et
nettement moins enclins à faire la sieste que leurs ainés. Voilà encore une
raison pour laquelle les observations de dauphins en groupe vont être
surreprésentées.
Le biais d’attraction
ou biais statistique.
Une fois un
aileron repéré, dans une campagne de photo-identification par exemple, l’observateur
va tenter d’approcher le dauphin repéré. S’il s’agit d’un dauphin isolé, en
général assez discret, les chances de poursuivre l’observation sont faibles et
le dauphin a de bonnes chances de s’évaporer.
Au
contraire, en période d’activité, un groupe approchera volontiers le bateau de
l’observateur qui pourra vraisemblablement observer et identifier la majorité,
voire la totalité des individus du groupe.
Prenons un
exemple numérique simple : On considère un endroit où, pendant une durée
déterminée, la probabilité d’observer un dauphin est de ½, comme à pile ou
face. On admet, ce qui est plus discutable mais assez représentatifs des
observations dans la Chaussée de Sein, on admet donc qu’une fois un groupe
repéré, la totalité des dauphins peut être observée.
Le dauphin
isolé a donc une chance sur deux de ne pas être identifié.
Pour un
petit groupe d’une dizaine de dauphins, on montre facilement que la probabilité
de ne pas être repéré est de l’ordre 1 sur mille, comme la probabilité de tirer
10 fois de suite face au jeu de pile ou face. La probabilité de repérer au
moins un dauphin, et par la suite tous les autres, est donc de 999 chances sur
1000.
Il apparait
donc qu’un dauphin isolé a une chance sur deux ou 500 chance sur mille de ne
pas être repéré alors que le dauphin au sein d’un groupe de dix individus n’a
qu’une chance sur mille de passer au travers des mailles du filet : les dauphins isolés (ou en très petits
groupes) sont infiniment plus difficile à observer que les dauphins en groupe …
ce qui ne veut pas dire qu’ils n’existent pas.
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